Question évaluée : Le traitement adjuvant des cancers du sein hormono-dépendants par tamoxifène peut être à l’origine d’un allongement de l’espace QT à l’électrocardiogramme (ECG), possiblement à l'origine de torsades de pointe et de mort subite. La prévalence du co-traitement de ces patientes par des inhibiteurs sélectifs ou non de la recapture de la sérotonine (IRS), avec ou sans lien avec le traitement anticancéreux, est source d’interaction médicamenteuse. D’une part les ISRS (es-citalopram, fluoxétine, fluvoxamine et paroxétine)) et IRSNa (venlafaxine) peuvent eux-mêmes allonger l’espace QT. D’autre part, ils peuvent inhiber (via le 2D6) le métabolisme du tamoxifène et donc induire une surexposition à ce dernier. Des auteurs néerlandais ont étudié cette question à la recherche du niveau de pertinence de cette interaction médicamenteuse potentielle.
Type d’étude : Multicentrique, rétrospective et prospective mixte.
Méthode : Recueil des ECG de patients traités par tamoxifène +/- IRS concernés (exclusion des patients avec autres traitements qui allongent le QT). L’objectif principal était une différence entre l’espace QT corrigé (QTc) avec ou sans IRS, en prenant la définition d’un allongement QTc significatif lorsque > 470 ms (femme) ou 450 ms (homme). Les autres facteurs de risque connus (sexe féminin, âge avancé, hypokaliémie, bradycardie, …) étaient également recueillis.
Résultats : N=100 dossiers patientes étaient évaluables (n=50 avec IRS dont venlafaxine (30%) et paroxétine (20%)). L’intervalle QTc était de 419,9±241 ms dans le groupe IRS et 407,5±22,1 ms dans le groupe contrôle (p=0,023). Une seule patiente présentait un ECG avec allongement du QTc (groupe contrôle). L’analyse en sous-groupe a montré que la paroxétine, le citalopram et l’escitalopram étaient les 3 IRS à l’origine des plus grandes différences de QTc avec le groupe contrôle. Les autres facteurs de risque retrouvés étaient l’hypokaliémie, une altération de la fonction rénale et la prise d’autres médicaments (non-connus pour allonger le QT car critère d’exclusion).
Points forts :
- Étude basée sur l’analyse des ECG et pas uniquement le risque théorique des médicaments.
Points faibles :
- Pas d’ECG à la baseline, avant l’introduction du tamoxifène et des IRS,
- Pas d’analyse selon les doses d’IRS et donc pas de notion d’effet-dose sur le QTc,
- L’étude ne permet pas de distinguer la contribution intrinsèque des IRS à l’allongement du QT de l’effet lié à l’inhibition du métabolisme du tamoxifène.
Conclusion/Implications en pratique : Cette étude démontre que les patientes traitées par tamoxifène et IRS ont un QTc relativement mais significativement plus long. Elle permet également de rappeler que le risque d’allongement du QT reste faible en pratique. Elle fournit enfin des éléments de preuve pour recommander en priorité la venlafaxine et la fluvoxamine comme IRS de choix, alors qu’il convient d’éviter paroxétine, citalopram et escitalopram. Dans le cas où la patiente serait déjà traitée par une de ces trois dernières molécules, la prise en compte des autres facteurs de risque retrouvés dans cette étude peut permettre une meilleure évaluation individuelle de la balance bénéfice-risque.
Rédigé par Florian SLIMANO