Question évaluée : La prescription d’anticancéreux injectables est une étape à risque pour les patients, mise en cause dans 50% des évènements indésirables évitables. Du fait de la croissance de l’activité ambulatoire d’administration d’anticancéreux injectables, la prescription anticipée, c’est-à-dire effectuée 48 à 24h avant administration, est de plus en plus démocratisée. Cette dernière permet notamment une préparation anticipée des traitements et donc un temps d’attente réduit pour les patients. Par définition, ces prescriptions peuvent donc être effectuées en l’absence des critères clinico-biologiques usuels, voire avant consultation médicale, non sans-risques.
Dans ce contexte, les auteurs de cette étude se sont intéressés aux risques associés à la prescription anticipée d’un hôpital de jour adulte oncologique, fort de vingt ans d’expérience dans cette pratique et accueillant plus de 100 patients/jour.
Type d’étude : Analyse de risque a priori.
Méthode : L'étude s'est déroulée de mai à octobre 2019. La méthode utilisée – the risk matrix approach (RMA) – s'inspire de l'Analyse des Modes de Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité (AMDEC). En premier lieu, un groupe de travail associant des pharmaciens, des médecins, des responsables qualité et gestion de risques, et des infirmières a été constitué. A l’issue de l’observation de deux sessions de prescription anticipée par un pharmacien, toutes les étapes du processus de prescription avancée ont ainsi été décrites. Pour chacune de ces étapes, des modes de défaillance potentiels (failure modes, FMs), leurs causes (C) et leurs conséquences (effects, E) ont été proposés. Un score de gravité (severity, S) a été attribué à tous les effets et une probabilité d'occurrence (O) à toutes les causes. Ces indicateurs S et O ont été utilisés pour construire une matrice de criticité brute (criticality index (CI) matrix). Enfin, l’évaluation de la maîtrise des risques (risk control, RC) de chaque défaillance a permis de construire une matrice de criticité résiduelle (residual criticality index (rCI) matrix).
Résultats : En considérant les 7 étapes inhérentes au processus de prescription anticipée à l'Institut Curie, un total de 14 modes de défaillance, 24 effets et 33 causes distinctes ont été répertoriés. Les combinaisons de ces derniers ont mis en évidence 61 situations à risques. L'étape « 4 - Vérification de la prescription » a généré le plus de modes de défaillance, c’est-à-dire un total de 10 (58%). Bien que la gravité des situations identifiées varie de « mineure » à « catastrophique », la gravité médiane a été classée comme « critique ». L’occurrence des situations allait de « très peu fréquente » à « très fréquente », avec une survenue médiane classée « occasionnelle ».
Parmi les 61 situations, 9 (15%) ont été classées comme présentant un indice de criticité brute « maximal », 18 (30%) comme présentant un indice de criticité brute « moyen » et 34 (55%) comme présentant un indice de criticité brute « négligeable ». La prise en compte des procédures de contrôle existants a permis de hiérarchiser les risques identifiés. En effet, seules 3 situations (5%) n'avaient pas de contrôles existants et la médiane des indices de criticité résiduelle a été classée « à surveiller ». Ainsi, trois situations (5%) ont été classées comme « nécessitant une intervention immédiate » ou « à traiter » (les absences d’ajustement de dose, les prescriptions multiples et les anomalies dans les données biologiques), 33 (54%) comme « nécessitant une surveillance » et 25 (41%) comme « acceptables ». Les étapes où des indices de criticité résiduelle maximal ont été trouvés sont les étapes « 3 - Vérification des données biologiques » et « 4 - Vérification de la prescription ».
En accord avec la littérature existante, il est rapporté dans cette étude que l’étape de vérification de la prescription représente 58% des modes de défaillance, 50% des situations avec un indice de criticité maximal et 67% des situations avec un indice de criticité résiduel "à traiter".
Points forts : Cette méthode d'analyse des risques a permis d'identifier de manières exhaustive les défaillances et les risques associés aux étapes de prescription anticipée au sein d’un hôpital de jour oncologique à forte activité. Chacune des situations présentant des indices de criticité brute et ou résiduelle élevés sont décrites dans le détail dans le corps de l’article. La connaissance de ces situations critiques par les cliniciens et les pharmaciens permet de gérer les risques associés, d’améliorer la sécurité des patients lors de l'administration d'anticancéreux injectables et donc d’optimiser la qualité des soins.
Points faibles : Du fait de la méthodologie retenue (RMA), l'étude présente des limites liées à son évaluation en interne et donc un biais d’appréciation, bien qu'elle ait été réalisée au sein d'un groupe de travail pluridisciplinaire expérimenté dans la pratique évaluée. Les résultats de l’étude peuvent être difficilement transposables à d’autres structures, mais les auteurs y décrivent une méthodologie standardisée qui peut tout à fait inspirer d’autres équipes.
Conclusion/Implications en pratique : La prescription anticipée de médicaments anticancéreux injectables semble être une pratique sûre pour les patients lorsqu'elle est associée à une gestion des risques et à une vigilance des plus attentives au cours de la validation pharmaceutique.
Rédigé par Ornella Tangila Kayembe et Alexandre Acramel