L'essai SHIVA vise à "sortir du dogme de l'organe" pour traiter la maladie en fonction de son profil moléculaire, a indiqué le Dr Christophe Le Tourneau, oncologue médical à l'Institut Curie et responsable de l'essai.
"Depuis Herceptin®, la première thérapie ciblée approuvée en 1998 dans le cancer du sein surexprimant HER2, qui a ensuite été homologuée dans les cancers de l'estomac, il existe une vingtaine de thérapies ciblées approuvées en oncologie solide visant des anomalies présentes dans tous les cancers avec une incidence qui varie selon l'organe. Est-il toujours légitime de développer ces molécules par type tumoral comme la chimiothérapie ou ne serait-il pas mieux de le faire sur la base du profil moléculaire de la tumeur?", a t-il expliqué.
"L'objectif de l'essai SHIVA est de démontrer que cette stratégie de médecine personnalisée est meilleure. C'est un essai de preuve du concept", a-t-il ajouté.
L'essai s'adresse à des patients ayant un cancer métastatique en échec thérapeutique après les traitements conventionnels, toutes tumeurs confondues (même rares) à condition d'avoir un site métastatique biopsiable. Une recherche systématique des anomalies biologiques pour lesquelles il existe des thérapies ciblées approuvées va être proposée quel que soit le cancer dont ils sont atteints, alors que jusqu'à présent, les anomalies recherchées dépendaient de la localisation tumorale initiale (HER2 pour le sein, EGFR pour le poumon...).
L'essai va inclure ses premiers patients en octobre. Prévu sur une période de trois ans, il va réaliser un profil moléculaire avec la recherche d'une quarantaine d'anomalies moléculaires pour un millier de patients après biopsie, avec l'objectif de trouver une anomalie pour laquelle il existe une thérapie ciblée homologuée. La surexpression des récepteurs hormonaux sera également recherchée.
Le compte rendu sera étudié en staff biomoléculaire pour hiérarchiser les anomalies et proposer une thérapie ciblée ayant déjà une indication ou un traitement conventionnel de chimiothérapie (bras contrôle), après randomisation. Le critère d'évaluation principal sera la survie sans progression.
Si aucune anomalie bénéficiant d'un traitement homologué n'est trouvée, les patients pourront participer à un essai de phase I ou II pour recevoir un traitement en développement. De même, ces inclusions seront aussi proposées en cas de progression.
Les anomalies seront recherchées pour l'EGFR, HER2, PI3K-AKT mTOR, KIT, RET, PDGFR, BRAF, LKB1, SARK, FLT3.
Un panel d'une dizaine de molécules en monothérapie sera proposé: l'imatinib , l'évérolimus le vemurafénib,le sorafénib, l'erlotinib, le trastuzumab et le lapatinib en association, le dasatinib, l'abiratérone et le tamoxifène ou le létrozole.
L'essai est promu par l'Institut Curie mais va aussi se dérouler dans six autres CLCC partenaires -le Centre Léon Bérard à Lyon, l'Institut de cancérologie de l'Ouest-René Gauducheau à Nantes, l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille, le Centre Georges-François Leclerc à Dijon, l'Institut Claudius Regaud à Toulouse et le Centre Alexis Vautrin à Nancy-, et probablement dans d'autres centres ensuite.
"C'est une première mondiale car c'est le premier essai toutes tumeurs confondues avec une randomisation face aux traitements conventionnels. Si les résultats sont positifs, nous pourrons changer de paradigme et ne plus développer les médicaments en fonction de la localisation cancéreuse mais en fonction de la biologie de la tumeur. Nous pourrons alors franchir le pas vers la médecine personnalisée", le Dr Le Tourneau.
"Ce serait un changement culturel très important" d'aller vers des traitements dirigés par la biologie (biology-driven), a souligné le Pr Pierre Teillac, directeur de l'ensemble hospitalier de l'Institut Curie.
Le projet nécessite un financement de 5 millions à 6 millions d'euros dont 1,5 million pour les 1.000 profils et de l'ordre de 3 millions pour les médicaments.
L'Institut Curie débute l'essai avec des dons et legs et sur l'assise que lui ont donné les financements du grand emprunt (comme Equipex et ICGex pour les plates-formes). D'autres financements vont être sollicités comme le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). L'Institut Curie est en pourparlers avec les industriels pour le financement des traitements et des recommandations temporaires d'utilisation (RTU) pourraient être sollicitées.
En parallèle de l’essai SHIVA, l'Institut Curie coordonne un projet européen, l’essai RAID sur les cancers du col de l'utérus afin d'identifier des bio-marqueurs de réponse aux traitements.
En parallèle de l’essai SHIVA, l'Institut Curie coordonne un projet européen, l’essai RAID sur les cancers du col de l'utérus afin d'identifier des bio-marqueurs de réponse aux traitements
L'institut Curie est coordonnateur de l’essai européen RAID qui a pour objectif le développement de marqueurs afin de prédire la réponse aux traitements.
L'essai RAID (Rational Assessment and Innovative Drug selection) va rechercher les anomalies moléculaires chez 1.000 patientes de sept pays européens (Allemagne, France, Hongrie, Moldavie, Pays-Bas, Roumanie et Serbie) afin de mieux comprendre la complexité des cancers du col, a précisé le Dr Suzy Scholl, oncologue médicale à l'Institut Curie et coordonnatrice de l'essai.
Avec près de 500.000 cas diagnostiqués chaque année et 270.000 décès, le cancer du col de l'utérus est le deuxième cancer féminin en termes de fréquence dans le monde. En Europe, 34.000 femmes sont atteintes chaque année et 16.000 décèdent des suites d'un cancer du col avec une fréquence plus élevée (trois à quatre fois plus) dans les pays de l'Est où le dépistage est moins développé.
Bien que l'origine de ce cancer soit connue (une infection à papillomavirus humain -HPV), son évolution est très variable d'une patiente à l'autre.
Le profil moléculaire sera établi pour 700 patientes. Le séquençage sera réalisé en grande partie en Hongrie et les analyses bio-informatiques et bio-statistiques seront centralisées à l'Institut Curie. L'objectif est d'établir un lien entre la présence de certaines anomalies et l'évolution de la tumeur ou la réponse au traitement afin d'identifier des bio-marqueurs prédictifs de l'évolution tumorale mais aussi de la réponse aux traitements standard de ce cancer, la chimiothérapie et la radiothérapie.
L'essai devrait commencer fin octobre.
Dans un deuxième temps, l'efficacité de nouvelles pistes thérapeutiques sera évaluée. A partir de l'analyse moléculaire complète des tumeurs, il sera possible de proposer des thérapies ciblées.
Un essai devrait être mené avec un vaccin thérapeutique (immunothérapie) chez des patientes dont la tumeur est HPV+. Il s'agit d'un vaccin qui cible E6 et E7, oncogènes du sous-type HPV-16, développé par la société néerlandaise ISA Pharmaceutical. Un autre essai sera mené avec l'antiviral cidofovir.
L'essai RAID bénéficie d'un financement européen de 6 millions d'euros. Des dossiers seront présentés pour d'autres appels d'offres afin de trouver des financements complémentaires