L’erlotinib est un inhibiteur de tyrosine kinase indiqué entre autres dans le cancer bronchique non à petites cellules avec mutation de l’Epidermal Growth Factor Receptor (EGFR). La biodisponibilité de l’erlotinib est fortement dépendante du pH gastrique (résorption optimale pour un pH~1). De plus, le médicament étant fortement lipophile, sa résorption est augmentée si le traitement est pris avec un repas riche en graisses [1].
En dehors de l’utilisation d’eau, les boissons type cola [2] et jus d’orange ont été évaluées pour la prise du traitement mais posent un problème nutritionnel. Quelles sont les alternatives pour nos patients ?
Question évaluée : Étude pharmacocinétique (PK) sur l’évaluation de l’absorption de l’erlotinib avec la prise de lait de vache +/- un inhibiteur de pompes à protons (IPP) (esomeprazole).
Type d’étude : Étude pharmacocinétique clinique contrôlée, randomisée en cross-over réalisée à l’Erasmus MC cancer Institut (Rotterdam, Pays-Bas).
Méthode :
Répartition des patients en deux groupes : erlotinib et erlotinib + IPP. L’esomeprazole 40 mg était pris 3h avant la prise d’erlotinib (activité max).
Design en deux phases :
- Prise erlotinib pendant 7 jours avec 250 mL d’eau ou lait de vache avec 3,9 % de graisses (taux le plus haut dans le commerce). La prise de traitement était fixée à 7 jours pour atteindre la concentration à l’équilibre,
- Hospitalisation pendant 24h pour réaliser l’analyse PK,
- A J8, switch de chaque groupe sur l’autre boisson de prise d’erlotinib (eau ou lait). Nouvelle journée de suivi PK à J14.
L’objectif principal était de déterminer la différence relative entre l'aire sous la courbe (AUC) d'erlotinib avec du lait (AUClait) et de l'eau (AUCeau) pour un même patient.
Résultats : L’AUC d’erlotinib ne change pas lors de la prise de lait de vache ou d’eau, probablement car le % de gras n’est pas assez important. Le lait diminue les variabilités inter-individuelles. En revanche, comme déjà étudié par avant, l’administration d’un IPP diminue l’absorption de l’erlotinib quel que soit le véhicule de prise d’erlotinib (diminution de l’AUC de 47 % et de la Cmax de 56 %.
Pas de différence de toxicité observée dans les deux bras.
Points forts :
- Étude pharmacocinétique randomisée.
- Absence de risque de surdosage avec l’utilisation de lait de vache.
- Confirmation de l’impact négatif des IPP (dont esomeprazole) sur l’absorption de l’erlotinib
Points faibles :
- Il existe une grande variabilité interindividuelle dans chaque groupe, nécessitant d’autres études. L’utilisation du lait de vache malgré son caractère lipidique ne permet pas de palier à l’impact des IPP sur la résoprtion
- Étude avec un petit échantillon (29 patients) et monocentrique.
Conclusion/Implications en pratique :
Le recours au lait de vache n’entraine pas d’interaction médicamenteuse. Il est donc possible de l’utiliser en toute sécurité pour la prise du traitement anticancéreux en alternative à l’eau. Ces données peuvent être mises en application dans nos pratiques quotidiennes dans le cadre du rôle important dans l’accompagnement des patients, via la conciliation médicamenteuse et les consultations de suivi conduites par les pharmaciens.
Rédigé par Clément CARBASSE
[1] Veerman GDM, et al. Clinical implications of food-drug interactions with small-molecule kinase inhibitors. Lancet Oncol. 2020;21(5):e265–79.
[2] Influence du Coca-Cola sur l’absorption de l’erlotinib chez les patients avec un cancer bronchique non à petites cellules : https://sfpo.com/blog/2016/01/27/oncopharmactu-article-1/