Question évaluée : Le paclitaxel est un antimitotique dont les principaux effets indésirables incluent neuropathie périphérique sensitive (NPS), hématotoxicité, et toxicité digestive. Son métabolisme implique une inactivation par les cytochromes CYP2C8. Quelques cas supportent l’hypothèse d’une neurotoxicité exacerbée par l’inhibition du métabolisme de paclitaxel par le clopidogrel (son métabolite, le clopidogrel acyl-bêta-D-glucuronide, est inhibiteur modéré du CYP2C8). Une équipe danoise a conduit une étude rétrospective afin d’explorer la pertinence clinique de cette potentielle interaction médicamenteuse.
Type d’étude : étude cas-témoins
Méthode : A partir des registres danois de remboursement des prescriptions (2004-2015) et des dossiers médicaux des patients, constitution d’une cohorte de patients traités par paclitaxel : des cas (patients traités par clopidogrel) auxquels ont été apparié deux témoins par cas (les témoins étaient des patients traités par aspirine à dose anti-agrégeante). L’objectif principal était l’impact du clopidogrel sur la survenue de NPS (grade ≥2). La survenue d’une neutropénie (G≥3) ou de nausées et vomissements (G≥3) faisaient partis des objectifs secondaires.
Résultats : Parmi une liste de 7730 patients ont été sélectionné 48 cas auxquels ont été appariés 88 témoins. La prise de clopidogrel a été associée à la survenue de NPS avec un hazard ratio de 1,7 [0,9-3,0]. Cette association était forte pour les patients recevant des doses de paclitaxel supérieures à 135 mg/m² (HR=2,0 [1,0-3,9]) et confirmée après ajustements sur la consommation d’alcool et/ou la présence d’un diabète (HR=2,3 [1,1-4,5]). La prise de clopidogrel n’était en revanche pas associée à la survenue des autres effets indésirables recherchés dans l’étude.
Points forts : première étude contrôlée permettant de mettre en évidence l’impact de la consommation de clopidogrel sur la fréquence de la neurotoxicité du paclitxel. Cette observation va dans le même sens que les observations cliniques isolées et les études in vitro.
Points faibles :
- étude rétrospective (difficulté de reconstituer le bilan médicamenteux et notamment les consommations de médicaments hors-prescription médicale, heure de prise de clopidogrel),
- les auteurs n’expliquent pas l’absence de différence significative en faveur du groupe clopidogrel pour l’hématotoxicité,
- les auteurs n’ont pas étudié la population spécifique traitée par clopidogrel et aspirine faible dose,
Conclusion/Implications en pratique : Cette étude apporte une preuve conséquente sur cette nouvelle interaction médicamenteuse. Elle ne concerne que les patients traités par de fortes doses de paclitaxel. Cette étude soutien la nécessité, surtout pour les patients pris en charge en hôpital de jour, de confronter systématiquement les traitements de chimiothérapie avec les traitements ambulatoires. Les cliniciens doivent être informés pour ces patients du risque de développement d’une neuropathie périphérique sensitive pouvant entrainer un risque d’échec thérapeutique (espacement des cures, réductions posologiques, perte d’adhérence du patient au projet thérapeutique). Enfin, les auteurs discutent de la gestion de cette nouvelle interaction en pratique : compte-tenu de la pharmacocinétique du clopidogrel et de son métabolite (demi-vie de 3 heures pour les deux) et de celle du paclitaxel en schéma 175 mg/m² administré sur 3 heures, une prise des deux molécules espacée de 10-12 heures pourrait suffire à limiter l’effet de clopidogrel acyl-bêta-D-glucuronide sur la clairance de paclitaxel. A toutes fins utiles …
Rédigé par Florian SLIMANO