Question évaluée :
Le schéma posologique à intervalles prolongés (extended interval dosing, ED) des anti-PD-1 ou des anti-PD-L1 a récemment été approuvé sur la base des résultats provenant d'un modèle pharmacocinétique prédisant un profil de bénéfices et de risques comparable à celui du schéma posologique standard (standard dosing, SD). Cette étude vise à comparer l'incidence et les facteurs de risque des effets indésirables graves liés à l’immunité (immune-related adverse event, irAE) de tout grade entre les schémas d’administration ED ou SD chez les patients traités par immunothérapie.
Rappel schémas posologiques :
- Standard (SD) : une dose fixe de 240 mg toutes les 2 semaines pour le nivolumab, 200 mg toutes les 3 semaines pour le pembrolizumab et 10 mg/kg toutes les 2 semaines pour le durvalumab.
- Intervalles prolongés (ED) : une dose de 480 mg toutes les 4 semaines pour le nivolumab, de 400 mg toutes les 6 semaines pour le pembrolizumab, et de 1500 mg toutes les 4 semaines pour le durvalumab.
Type d’étude :
Étude de cohorte rétrospective en vie réelle réalisée sur une période de deux ans dans deux centres d’oncologie en France.
Méthode :
- Collection des données rétrospectivement et indépendamment dans les deux centres à partir des dossiers médicaux entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2021.
- Inclusion des patients :
- ≥ 18 ans : ayant débuté un traitement par nivolumab, pembrolizumab ou durvalumab entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020, associé ou non à des chimiothérapies ou thérapies ciblées, pour toute indication en adjuvant ou métastatique.
Les inhibiteurs de checkpoint étaient administrés selon le schéma SD ou ED en fonction du patient et de la décision médicale.
- Critère de jugement principal :
- Incidence des irAEs ≥ grade 3 selon le Common Terminology Criteria for Adverse Events (CTCAE) v5.0.
- Critères de jugement secondaires :
- Incidence de tout irAE, les facteurs de risque des irAEs et la réponse oncologique lors du dernier suivi documenté.
- Analyse statistique :
- Modèle de régression de Cox avec des covariables dépendantes du temps (schéma posologique SD et/ou ED, survenue de irAE de bas grade pendant la phase SD). Ajustement sur un modèle multivarié optimisant le critère d'information Bayésien de Schwartz.
Résultats :
Description de la population :
686 patients inclus :
- 63% (n = 430) recevaient un SD
- 14% (n = 95) recevaient un schéma ED
- 23% (n = 161) recevaient un schéma SD puis sont passés à un schéma ED au cours du suivi
300 patients étaient traités par nivolumab, 351 par pembrolizumab et 35 par durvalumab.
Description des irAEs : 34,6 % (n = 237) des patients ont présenté au moins un irAE de tout grade et 11,4 % (n = 78) ont présenté au moins un irAE grave de grade ≥ 3.
- Groupe schéma SD : 117 patients (27%) ont présenté un irAE avec 46 patients (11%) de grade ≥ 3
- Groupe schéma ED : 46 patients (48%) ont présenté un irAE avec 10 patients (11%) de grade ≥ 3
- Groupe schéma SD puis ED : 74 patients (46%) ont présenté un irAE avec 10 patients (6%) de grade ≥ 3
Médiane de survenue des irAEs : 100 jours (42-210 jours).
Analyse principale :
Aucune différence significative n'a été trouvée entre les schémas SD et ED concernant le risque de irAE de grade ≥3 (Hazard ratio ajusté (HR) 1,40 ; IC à 95% 0,71-2,76).
Analyse secondaire :
- Cette analyse suggère un risque accru de irAE tous grades confondus avec le schéma ED par rapport au schéma SD (HR ajusté 1,46 ; IC à 95 % 1,00-2,12 ; p = 0,047).
- Préexistence d'une maladie auto-immune augmente l’incidence de irAE de grade ≥ 3 (HR 2,55 ; IC à 95% 1,53-4,27).
- Cancer du rein était associé à un risque plus élevé de irAE de grade 3 (Odds Ratio (OR) 5,46 ; IC à 95% 1,48-20,21).
Absence de différence significative :
- Utilisation concomitante d’un traitement immunosuppresseur (HR 1,17 ; IC à 95% 0,49-2,79)
- Utilisation concomitante d’une chimiothérapie ou d’une thérapie ciblée (ITK, anti-BRAF ou anti-MAPK)
- Utilisation concomitante de la radiothérapie (p = 0,47)
Effet protecteur de la survenue de irAE de grade ≥ 3 sur la probabilité de progression (OR = 0,43 ; IC à 95% 0,25-0,75).
Schémas ED et SD-ED également associés à une diminution de la probabilité de progression (respectivement OR = 0,41 ; IC à 95% 0,22-0,77 et OR = 0,15 ; IC à 95% 0,10- 0,25).
Points forts :
- Exhaustivité des données collectées sur une période de 2 ans
- Étude la plus importante à ce jour pour évaluer l'incidence des irAEs avec les inhibiteurs de checkpoint immunitaire entre les deux schémas posologiques ED et SD
- N’étaient inclus que les patients nouvellement mis sous inhibiteurs de checkpoint (utilisateurs incidents) limitant ainsi les biais de sélection
- Cette étude montre une incidence accrue de irAE en cas d'antécédents de pathologies auto-immunes, confirmant le fait qu’il s’agit d’un facteur de risque pour ces effets indésirables
Points faibles :
- Les centres de cette étude sont tous les 2 à Montpellier : nécessité d’une validation externe pour généraliser les résultats obtenus
- Les données sont exclusivement basées sur les dossiers médicaux : limite l'analyse aux informations enregistrées dans les dossiers (limitation des irAEs grade 1 et 2)
- Absence de résultats individuels pour chaque inhibiteur de checkpoint étudié
- Collecte des données effectuée par un professionnel de santé pour chaque centre sans validation croisée : risque de biais de classement des irAEs
Conclusion/Implications en pratique :
Les résultats de cette étude n’ont pas mis en évidence de risque accru de irAE grave en fonction du schéma posologique mis en place. D’avantage d’études sont nécessaires pour confirmer l’efficacité entre les deux schémas. Les équipes peuvent choisir en toute sécurité le schéma posologique approprié en fonction du profil du patient (état général, stade de la maladie, antécédents médicaux (auto-immunité)).
Rédigé par Marie-Charlotte Renaux Torres, Gaëlle Baroux, Clément Carbasse & Guillaume Sicard pour la Commission Junior de la SFPO