Question évaluée : Depuis 2012 il est accepté de ne plus plafonner, sauf exceptions, les posologies des anticancéreux à la borne historique de 2 m². Cette étude propose d’évaluer cependant l’intérêt d’un ajustement posologique chez le patient obèse traité pour cancer du sein. Trois décisions sont évaluées : ajustement au poids théorique, plafonnement à 2 m2 ou aucun ajustement posologique.
Type d’étude : étude prospective randomisée monocentrique évaluant les toxicités et l’efficacité de plusieurs types d’ajustement posologique chez les patients obèses.
Méthode : Inclusion de patients atteints de cancer du sein présentant un IMC > 30 kg/m². Randomisation dans deux bras de traitements :
- Schéma dose-dense à base d’epirubicine + cyclophosphamide + docetaxel,
- Schéma classique E+C suivi de docétaxel.
Dans une première phase les patients recevaient une dose calculée sur leur surface corporelle réelle ou une plafonnée à 2m². Dans la seconde phase de l’étude, pour des raisons de sécurité, les doses ont été ajustées sur le poids idéal ou maintenues plafonnées à 2 m². Une prophylaxie par G-CSF a été prescrite pour l’ensemble des patients selon les recommandations en vigueur.
Résultats : A posologie ajustée, les patients obèses ont présenté plus de neutropénies et en particulier de neutropénies fébriles que les non-obèses (p=0,008). Les résultats sont similaires pour les thrombopénies de grade 3-4 (p=0,034) et les évènements thromboemboliques (tous grade ; p=0,002) chez les patients obèses versus non-obèses.
Dans la population obèses, ceux dont la posologie n’est pas plafonnée font plus de neutropénies fébriles (G3-4 ; p=0,003) et de thrombopénies (G3-4 ; p=0,002). Il y avait également plus d’évènements thromboemboliques, de perturbations de la créatininémie, de flushs cutanés, de vertiges et diarrhées. En revanche les auteurs n’ont pas montré de différences sur la courbe de survie sans progression à 5 ans entre les différents groupes suivis.
Points forts : Analyse prospective de l’impact de l’ajustement posologique sur une grande cohorte de patients. Les cohortes de patients obèses à posologie plafonnée ou non sont comparables. L’étude apporte simultanément des informations sur les risques encourus par le patient obèse en oncologie et le risque de déplafonnement de la posologie.
Points faibles :
- les groupes ne sont pas statistiquement identiques. En outre, les patients obèses sont statistiquement plus âgés et présentent un stade de leur pathologie significativement plus avancé,
- la méthodologie est confuse avec des modifications d’ajustement posologique en cours d’étude. Ainsi le passage du calcul de la posologie sur la base du poids idéal ou le maintien à la posologie plafonnée est laissé au libre arbitre de l’investigateur,
- les résultats obtenus ne sont pas discutés ou pondérés par sous-groupe de patient en fonction de la gravité de l’obésité. De même aucune mention de la co-médication n’est faite (notamment la prise en charge du diabète et des dyslipidémies attendues pour une cohorte de patient obèse).
Conclusion : L’ajustement posologique en oncologie pour le patient obèse ne semble pas répondre à une règle du tout ou rien. La décision d’ajustement sur le poids idéal ou plafonnement à 2 m² doit se faire au cas par cas en considérant notamment qu’il existe un risque de toxicité hématologique potentialisé par les thérapies associées et une distribution différente des principes actifs dans les tissus adipeux selon leur propriétés physico-chimiques. C’est aussi cela la médecine « personnalisée ».
Rédigé par Elisabeth BERMUDEZ et Lionel TORTOLANO