Question évaluée : L’association trifluridine/tipiracil est utilisée dans le traitement du cancer colorectal métastatique en monothérapie ou en association au bevacizumab. Cette association ne subit pas de métabolisme de phase 1 mais des études in vitro ont montré que tipiracil est substrat et inhibiteur du transporteur organique cationique OCT2 (au niveau proximal de la membrane basolatérale des tubules rénaux) et de la protéine d’efflux Multidrug and toxin extrusion protein MATE1 (au niveau de la bordure en brosse de ces mêmes cellules). La metformine est connue comme substrat OCT2/MATE1 et la cimétidine comme inhibiteur du couple OCT2/MATE1. L’équipe d’Erasmus aux Pays-Bas a souhaité étudier la pertinence clinique de ces interactions chez des sujets atteints d’un cancer colorectal métastatique.
Type d’étude : Etude de pharmacocinétique clinique en trois phases
Méthode : Les patients inclus prenaient l’association trifluridine/tipiracile pendant 5 jours sur 7 (deux semaines sur 4) conformément à l’autorisation de mise sur le marché, avec une première série de prélèvements plasmatiques au jour 5. Lors de la reprise du traitement de J8 à J12 les patients consommaient en parallèle de la metformine 500 mg deux fois par jour du J8 au J14, avec prélèvements plasmatiques à J12 (trifluridine/tipiracil) et à J14 (metformine). Enfin, les patients prenaient à nouveau trifluridine/tipiracil de J1 à J5 avec prise concomitante de cimétidine 400 mg deux fois par jour et dernière série de prélèvements plasmatiques à J5. La survenue de effets indésirables était collectée et analysée comme critère de jugement de la pertinence clinique d’une éventuelle interaction médicamenteuse.
Résultats : Dix-huit patients ont été inclus. Il y avait une augmentation de l’exposition (moyenne géométrique de l’AUC) à trifluridine/tipiracil en association avec la cimétidine (+18% 97,5%IC[4,5-33,3] ; p<0,004). Aucune autre modification statistiquement significative n’a été retrouvée, qu’il s’agisse des autres paramètres trifluridine/tipiracil (Cmax et Tmax) ou de la concentration à l’équilibre mesurée de metformine (Css). La survenue d’effets indésirables n’était pas en faveur d’une pertinence clinique de l’inhibition du transport d trifluridine/tipiracil par la cimétidine.
Points forts : étude de pharmacocinétique clinque permettant d’apporter une réponse pratique à une question mettant en jeu les transporteurs, thématique beaucoup moins étudiée que pour les réactions de phase 1. Compte-tenu du fait que la cimétidine est le plus puissant inhibiteur connu du couple OCT2/MATE1, une interaction médicamenteuse par inhibition pour trifluridine/tipiracil n’est pas attendu en pratique.
Points faibles : Tous les patients avaient une fonction rénale supérieure à 90 mL/min. Les patients insuffisants rénaux de stade 2 ou 3 présentent respectivement une surexposition à trifluridine/tipiracil de 31% et 43%, et les résultats de l’étude ne peuvent donc pas être extrapolés à cette population. On reste également dans l’attente d’une meilleure connaissance de la pharmacogénétique des transporteurs OCT2 et MATE1 car c’est un facteur de variation intrinsèque potentiellement important.
Conclusion/Implications en pratique : Cette étude de pharmacocinétique clinique permet de confirmer l’absence de pertinence clinique de cette interaction, et d’éviter aux patients diabétiques (8-18% des patients en oncologie) de se voir proposer des adaptations posologiques ou arrêts de traitement par metformine sans que la balance bénéfice / risque le justifie. Compte-tenu de l’utilisation de plus en plus rare des antihistaminiques H2 comme la cimétidine, cette interaction était en pratique très probablement peu rencontrée, tout du moins en France.
Rédigé par Florian SLIMANO
D’après Guchelaar NAD, et al. The OCT2/MATE1 Interaction Between Trifluridine, Metformin and Cimetidine: A Crossover Pharmacokinetic Study. Clin Pharmacokinet 2024. Publié en ligne le 28 juin 2024. https://doi.org/10.1007/s40262-024-01390-3